mercredi 25 septembre 2013

Chronique aux hyperactifs.


C’est ici, au beau milieu d’un petit parc du bord de l’eau dans Ahuntsic, assise au soleil au pied d’un arbre, mon chien sagement couché à mes pieds dans les feuilles mortes, que je me mets à réfléchir sur ma vie. Cette phrase peut sonner creux et faussement philosophique, mais elle n’en est pas moins vraie.

 

Ma vie. Cette notion informe qui semble me glisser entres les doigts dès que je tente de la saisir. La vie, qu’est-ce? Aujourd’hui, c’était écrire sur mon second manuscrit après avoir déposé le premier à une cinquième maison d’édition dans la matinée. Et après? Qu’est ce que cela apporte? Où cela va-t-il me mener? Dans les scénarios les plus fous, à une carrière de jeune écrivain qui fut jadis une comédienne ratée? Soyons sérieux. Le titre est accrocheur, mais je ne suis pas Woody Allen, Colette ou même Stephen King. Oui, peut-être…

 

Mais je suis moi. Et moi aussi je vis ma vie. Égoïstement mienne. Le hic est là. Ma vie. Mes décisions. Mes choix. Mais que veux-je en faire? Et pourquoi? Dans quel but? Faut-il qu’il y ait un but? Je m’étourdis par ces farandoles de questions et te ferai grâce de mes états d’âme à toi cher lecteur. Qui que tu sois. Un temps soit peu que tu existes…

 

N’empêche. Le point soulevé est symbolique et crucial. Suis-je la seule à me sentir aux prises avec une époque qui ne me convient pas? Plus. Toujours plus. Depuis que je vis dans la métropole, je n’ai cesse de vouloir en sortir. Avis aux citadins invétérés, aucune attaque n’est ici dirigée contre vous. Je soulève le point. Ce mode de vie ne me convient pas. Il m’a fallu attendre une suite d’événements plus ou moins tragiques pour m’en rendre compte; et encore plus difficile : l’accepter. Je répète : cette quête effrénée ne me convient pas.

 

Non.

 

Je ne partirai pas en croisade. Vers quelle terre sainte? Le savez-vous vous-même? Cette course contre la montre pour aller où? La prochaine fois, il me faudra avoir le cran de questionner un de ces marathoniens, probablement en train de klaxonner un pauvre piéton aux réflexes douteux… Enfin.

 

Tout ça pour dire que depuis ma sortie d’école, je me suis retrouvée projetée dans un étau. Littéralement écrabouillée de pression sociale. « Il faut faire. » Faire. Faire. Faire. Accomplir. Diront les plus philanthropes. Je leur répondrai : « Mes chers, je débarque dans votre monde parce qu’il s’impose à moi. Je ne l’ai pas choisi. Pas plus que je ne le combat. J’accepte tant bien que mal certaines de ses règles dont je ne vois pas la raison d’être des trois-quarts… »

 

Mais, quand on me casse les pieds à me demander : « Que fais-tu maintenant dans la vie? » J’ai tout bonnement envie de rétorquer d’un grand sourire : « Dans la vie? Je veux être. »

 

Mais est-ce seulement encore permis?

 

Je serai hors-la-loi.

 

 

Eve Mangin.

Montréal, le 25 septembre 2013.

lundi 23 septembre 2013

Lettre d'automne


Ce que je vais entreprendre n’est pas aisé. Mais je ressens une pulsion, un besoin d’écrire incontrôlable qui me pousse vers toi, vers ces mots que je forme à la hâte sur du papier. Comme si j’avais peur qu’ils s’envolent avant que je parvienne à les saisir. Je ne sais pourquoi, mais cette verve se dirige vers toi, c’est à toi que je dois parler, écrire.

 

Pour te dire? Je tente de formuler ce qui me pèse, ce qui me fait le cœur gros. Oui, la vie de ces dernières semaines n’a pas été facile pour moi, comme je l’imagine pour toi aussi. Je me sens projetée vers l’avant à une vitesse prodigieuse. Je m’affole. J’ai la sensation que tout glisse entre mes mains; et peut-être est-ce cela qui fait mon malheur. J’ai besoin d’une pause. De ralentir, de me suspendre pour regarder et comprendre ce qui arrive. Je le redis. Tout m’échappe. Je m’épuise à courir, à tenter de rattraper je ne sais quoi. J’ai besoin de confort, de sécurité, d’un lieu où je vais pouvoir trouver la paix. La sérénité. La simplicité. Bien que cela semble ardu à atteindre, je veux m’y employer.

 

Sortir de mon cloître de Sainte-Thérèse m’a propulsée dans un monde à grande vitesse qui ne m’attire pas particulièrement. Je me souviens de Into the Wild que l’on a regardé ensemble. Et je me surprends à comprendre de plus en plus ce besoin de s’isoler de cette folie des villes ou du monde d’aujourd’hui. Crois-moi, je pense comprendre tes besoins d’évasion. J’ai les mêmes. Mais dans le présent, je les prends pour des désirs de t’éloigner de moi. Comme si je t’ennuyais ou que tu avais crainte d’être trop « installé » avec moi.

 

Je ne veux pas te retenir. Mon désir était, est, de partager avec toi. J’ai grandi seule. J’ai peu d’amis véritables. Ceux que j’ai me sont précieux et très éloignés de moi. Aujourd’hui, je t’ai toi. Aussi bien que m’as. Mais est-ce ce que tu désires? Pour des raisons que toi seul connais, tu peines à découvrir ce tu penses et ressens. Aujourd’hui, je ressens le besoin de m’ouvrir à toi. T’écrire. C’est comme cela que je me livre. J’ai envie de remettre les compteurs à zéro. De mettre cartes sur table. Alors, je t’écris. Si mon offre de partage t’interpelle, alors une grande part de mon bonheur est acquise. Simplement. Partager mes idées, mes craintes, mes joies, mes passions, mes projets. Je ne peux l’expliquer, mais c’est toi que je choisis. Que je veux serrer contre moi.

 

J’aimerais partir. Partir pour mieux me retrouver. Te retrouver. Partir ensemble? Profiter de la froideur de notre rencontre pour nos retrouvailles. Je veux te redécouvrir. Me redécouvrir. Bonne bouffe. Bon vin. Feu de foyer. Lac. Étoiles. Musique. Es-tu partant? Je ne veux pas savoir où tout cela va nous mener. Je veux juste entamer le voyage. À mon rythme, notre rythme. Plus paisible, plus pacifique. Se trouver l’un l’autre juste tels que nous sommes. Simplement. J’ai besoin de retrouver mon équilibre tranquillement. Préserver ce qu’il y a de bon.

 

J’espère ne pas t’avoir effrayé avec ces mots. J’avais l’envie d’écrire. Et là, devant le papier, voici ce qui m’est venu, spontanément. Je voulais te les offrir, comme ça, en touffes éparses, tels qu’ils se sont présentés dans mon esprit. J’ai lu récemment cette phrase : l’amour est infini. Et ça m’a donné envie d’aimer. Ne reste plus qu’un bon feu et une tasse de chocolat.

 

Le lundi 23 septembre 2013 à Trois-Rivières.

lundi 12 août 2013

Mars 2011. Ode à Corneille.


SCONES. CYRANO. MONTRÉAL.
de Eve Mangin
 
MARS 2011

 

Un petit local noir. Mercredi matin. Enfin, je crois. Impossible d’avoir une idée de l’heure dans ces lieux confinés de création, où les fenêtres closes sont masquées par d’épais rideaux de velours noir, faisant virevolter dans l’air leurs particules de poussière. Poudre d’or dans la lumière tamisée de quelques néons. Les salles de répétition modernes, petits théâtres de grand génie, sont toujours restées plus cousines de la chandelle que du projecteur. Charme intemporel d’un art millénaire. Les apprentis-comédiens sont des êtres troubles, toujours en quête. De frêles oisons nerveux, fragilisés par cette quête constante d’eux-mêmes à travers l’art. De moineaux ordinaires, ils rêvent tous de devenir colombes, majestueux aras, ou harfangs immaculés. Sortir du nombre, du voilier d’outardes. Prendre son propre chemin. Se distinguer. Briller. Atteindre au plus haut sommet humain : la reconnaissance. Une vie est un temps trop court. Trop peu arrivent au sommet au cours de leur existence. Telle est la réalité. Emma n’est pas une enfant de la réalité. Dès son plus jeune âge, si elle avait pu lui cracher au visage elle l’aurait fait. Faute d’occasion. Elle lui tourne le dos. Mais, la réalité est féroce. On ne peut la nier indéfiniment. Ce matin, elle l’a rattrapée. Heurtée de plein fouet, en plein cœur. Blessure béante d’où le sang s’écoule à flots.

 

Deux mots. Tragédie classique. Deux auteurs. Racine, Corneille. Deux mois de dur labeur. Deux mois de souffrance. Summum de la douleur atteint. Avis à tous ceux qui ignorent les rouages de l’art dramatique : la route est semée d’embûches. Mince sont les rescapés de la chevauchée rocambolesque.

 

Ce matin, après des heures et des heures acharnées, c’est l’impasse. Le mur. La Camille de Corneille lui reste étrangère. Emma est au bord du gouffre. Son pied risque à tout instant de verser dans l’abîme. Quatre étudiants. Un maître. Une scène. Horace de Corneille.

 

La tragédie et les personnages classiques ont ceci de grandiose qu’ils sont la vérité pure. Par conséquent, presque impossibles à incarner. Les sentiments, les passions furieuses de toute l’humanité ont été cantonnées au corset intransigeant de l’alexandrin classique. Celui-ci, loin d’en minimiser la puissance, décuple leurs effets en les contraignant à la plus simple expression. Douze syllabes. La fureur de l’humanité contenue en douze syllabes. Tour de force du génie français, jamais plus éprouvé jusqu’à ce jour. La tragédie ne pardonne pas. Si la vérité ne s’impose pas dans toute sa lumière, elle s’écroule. Sa loi est dure. Aujourd’hui, Emma s’écroule avec elle.

 

- Non. Non. Et non! Ça va pas du tout! T’es tendue comme une barre. Comment veux-tu ressentir quoique ce soit avec des tensions pareilles! Relaxe!

 

Encore une fois, la répétition s’arrête. Emma est au bord des larmes. Depuis une heure qu’elle est confinée entre quatre murs, les murs de son échec qui se resserrent autour d’elle, l’étouffent. Elle avale péniblement.

 

- Je…j’essaie. Je fais mon possible.

- Eh bien! C’est pas assez. Encore une fois. Du début!

 

Emma et son partenaire reprennent place. Assise sur un petit cube noir, les jambes d’Emma tremblent sous elle. L’échec se fait déjà ressentir. Horace entre triomphant, brandissant fièrement une épée émoussée.

 

- « Ma sœur! Voici le bras qui venge nos frères. Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires qui nous rend maîtres d’Albe ; enfin voici le bras qui seul fait aujourd’hui le sort de deux états ; vois ces marques d’honneur, ces témoins de ma gloire, et rends ce que tu dois à l’heur de ma victoire.

- Recevez donc mes pleurs, c’est ce que je lui dois.

- Rome n’en veut point voir après de tels exploits, et nos deux frères morts dans le malheur des armes sont trop payés de sang pour exiger des larmes : quand la perte est vengée, on n’a plus rien perdu.

- Puisqu’ils sont satisfaits par le sang épandu, je cesserai pour eux de paraître affligée, et j’oublierai leur mort que vous avez vengée ; mais qui me vengera de celle d’un amant, pour me faire oublier sa perte en un moment ?

- Que dis-tu, malheureuse ?

- Ô mon cher Curiace ! »

 

Le maître, au cours de cet échange, s’est levé. Il s’approche de ses apprentis. D’un geste brusque, il empoigne fermement Emma par le bras. La jette à terre. Elle reste interdite, sous le choc de sa chute imprévue. Le maître leur fait signe de poursuivre la scène. Continue. Mais alors qu’Emma s’attend à la réplique de son partenaire, le maître prend sa place. Emma n’a pas le loisir de réfléchir, de se remettre de sa surprise. Il faut continuer. Toujours. Continuer. Le maître s’avance vers elle. Les muscles saillants. Le regard assassin. Les vers, par sa bouche, retentissent d’une sonorité nouvelle. Les mots vibrent de colère, grondent de rage. La fureur du tueur assoiffé de sang. Le fauve doit étancher sa soif grandissante. Il a trouvé sa proie.

 

- « Ô d’une indigne sœur insupportable audace ! D’un ennemi public dont je reviens vainqueur, le nom est dans ta bouche et l’amour dans ton cœur ! Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire ! Ta bouche la demande, et ton cœur la respire ! Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs, ne me fais plus rougir d’entendre tes soupirs ; tes flammes désormais doivent être étouffées ; bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées : qu’ils soient dorénavant ton unique entretien. »

 

Le professeur est métamorphosé. Horace est devant elle. En chair et en os. Vestige rescapé du temps faucheur. Emma est obligée de ramper sur le sol pour éviter ses coups de pieds. Sa force considérable. La réplique achevée, il agrippe Emma tremblante et la jette sur ses pieds. Les jambes de la jeune fille ne la soutiennent plus. Camille ne tremble plus. Camille s’est éteinte. Emma est terrorisée. Elle ne sait plus que faire. Devant son mutisme, le maître redouble d’ardeur sous les yeux de trois étudiants éberlués, seuls témoins d’une rare violence. Des actes jamais rencontrés auparavant dans ces lieux de haute pédagogie. Il saisit Emma par les épaules, manquant de la faire voler à travers la pièce. Il décide de reprendre la scène dans un tourbillon effréné. Sa voix n’est plus la sienne. Il vibre d’une voix sépulcrale. Sourde. Tranchante.

- « Ma sœur! Voici le bras qui venge nos frères. Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires qui nous rend maîtres d’Albe ; enfin voici le bras qui seul fait aujourd’hui le sort de deux états ; vois ces marques d’honneur, ces témoins de ma gloire, et rends ce que tu dois à l’heur de ma victoire. »

 

Il poursuit Emma comme un fou. Le temps est suspendu. La réalité se trouble. Dans sa course folle, le professeur a actionné le système de son dont rugit maintenant un rythme démoniaque qui s’empare de l’espace. La tête d’Emma se met à tourner. Elle est emportée dans un ouragan de sons et d’images. Sa vision se trouble. Ses oreilles bourdonnent. Elle parvient à peine à percevoir les nouvelles directives qui semblent fuser de toutes parts.

 

- Nathan ! Du début ! Reprend ! Maintenant !

 

Une autre voix s’élève, une voix dont elle reconnaît les accents mal assurés. Mais aujourd’hui, cette voix parle comme jamais elle n’a parlé.

  

- « Ma sœur! Voici le bras qui venge nos frères. Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires… »

- Emma! Détends-toi! Danse! Danse! Danse! Laisse-toi aller!

 

Emma n’a plus aucune volonté. Elle obéit malgré elle. Sans aucune conscience. Ses bras se mettent à bouger, ses jambes. Elle est prise d’une frénésie grandissante. Sa bouche articule des mots qu’elle ne comprend pas. Nathan s’approche d’elle. Le maître lui fait signe de lui saisir les poignets. Elle ne voit pas leur échange, mais elle sent tout à coup la pression meurtrissant son corps. L’étau se ressert. Elle est saisie par derrière. Deux mains se referment sur sa taille, l’emportent vers l’arrière alors que la pression augmente vers l’avant. Elle est prise en tenaille. Les vers continuent leur envolée grandiose.

 

- « Ô d’une indigne sœur insupportable audace ! D’un ennemi public dont je reviens vainqueur le nom est dans ta bouche et l’amour dans ton cœur ! Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire ! Ta bouche la demande, et ton cœur la respire ! Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs, ne me fais plus rougir d’entendre tes soupirs ; tes flammes désormais doivent être étouffées ; bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées : qu’ils soient dorénavant ton unique entretien. »

 

Le désespoir s’empare d’Emma. Faites que ça cesse ! Son corps souffre le martyre. Elle l’ignore, mais depuis trop longtemps déjà il est en proie incessante aux coups, à la violence de Corneille qui s’est déchaînée. Sans aucun avis, la frustration, la rage, les souffrances des derniers mois s’amalgament dans son ventre. Le feu jaillit.

 

- « Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien ; et si tu veux enfin que je t’ouvre mon âme, rends-moi mon Curiace, ou laisse agir ma flamme : ma joie et mes douleurs dépendaient de son sort ; je l’adorais vivant, et je le pleure mort. Ne cherche plus ta sœur où tu l’avais laissée ; tu ne revois en moi qu’une amante offensée, qui comme une furie attachée à tes pas, te veut incessamment reprocher son trépas. Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes, qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes, et que jusques au ciel élevant tes exploits, moi-même je le tue une seconde fois ! Puissent tant de malheurs accompagner ta vie, que tu tombes au point de me porter envie ; et toi, bientôt souiller par quelque lâcheté cette gloire si chère à ta brutalité !

- Ô ciel ! Qui vit jamais une pareille rage ! Crois-tu donc que je sois insensible à l’outrage, que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur ? Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur, et préfère du moins au souvenir d’un homme ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome. »

 

La musique est assourdissante. Tout se brouille. Le plancher se dérobe sous elle. Sa vision titube. Tout se fonde dans un écran noir. Ses forces sont décuplées. Elle s’arrache à ses agresseurs. Camille se jette à la gorge de son frère. Cet Horace, ce monstre abject qui l’a privée à tout jamais de son amour. Au nom de qui ? De Rome ! Assez ! Assez ! Assez !

 

- « Rome, l’unique objet de mon ressentiment ! Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant ! Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore ! Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore ! Puissent tous ses voisins ensemble conjurés saper ses fondements encor mal assurés ! Et si ce n’est assez de toute l’Italie, que l’orient contre elle à l’occident s’allie ; que cent peuples unis des bouts de l’univers passent pour la détruire et les monts et les mers ! Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles, et de ses propres mains déchire ses entrailles ! Que le courroux du ciel allumé par mes vœux fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux ! Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre, voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre, voir le dernier Romain à son dernier soupir, moi seule en être cause, et mourir de plaisir ! »

 

L’abîme. Tout sombre dans le noir. Emma s’effondre. Elle git au sol, inconsciente, sous les regards admiratifs, les corps inertes de la petite assistance. Ils venaient d’assister à la vérité des foudres humaines. Nathan se dégage. Des marques rouge vif ornent son cou.
 
 
 
© Eve Mangin, 2011
 
 

lundi 5 août 2013

DÉCEMBRE 2010 [extrait] Rothley

Scones. Cyrano. Montréal. 

Décembre 2010 [extrait]

James lui fait découvrir son petit coin de pays, ses repaires, ses beautés dissimulées. Au cours d’une longue promenade dominicale, emmitouflés dans la laine épaisse de leurs écharpes, l’œil vif et le visage clair, James la conduit à travers plusieurs villages voisins, disséminés à travers champs, pâturages et rivières gelées. Ils progressent jusqu’à une ancienne station ferroviaire, à l’entrée du bourg de Rothley. Tous deux sur le pont de pierre qui surplombe les rails, ils observent. Rien à l’horizon. La station semble désaffectée. Emma s’impatiente. La brise glacée s’infiltre entre ses vêtements. L’air froid mord sa peau. Chilly.

- Come on. Let’s carry on Jay. I’m freezing!
- I thought you were used to it in Quebec. Wait sweetie. You have to see this.
- Chéri, there’s nothing here. It’s beautiful but I’d like to walk. Warm up a bit.
- Wait.

Emma doit encore apprendre la patience. Mais le ton de James, malgré sa douceur, reste ferme. Elle plie à sa demande. Il doit savoir ce qu’il fait.  Soudain, un bruit sourd se fait entendre au loin. Un ronron mécanique qui se rapproche de plus en plus. Un nuage de fumée se profile au dessus des rails. Bientôt, une locomotive rouge incendiaire débouche vers la gare. Radieuse dans l’après-midi gris. Un train à vapeur! Et Emma qui croyait qu’ils étaient tous hors service! Le train s’arrête en gare, en-dessous d’eux. Son jet de vapeur les chatouillant presque.
- Come on! Let’s get down and see it closer!

James entraîne Emma dans la volée de marches glacées qui descend à pic vers le quai. Retour dans le passé. La station a été conservée intacte depuis des décennies. Les affiches jaunies des salons de thé, des offres du service restaurant à bord des wagons luxueux, les prospectus des troupes de cirque itinérantes en visite au village, les calligraphies peintes en noir sur les panneaux de bois vert, la loge du contrôleur, tout est intact, précieusement entretenu en fier emblème du patrimoine local. Des voyageurs descendent et montent des wagons étincelants aux banquettes de bois rembourrées. Tout simplement stupéfiant! Le train à vapeur est encore sur la ligne de service régulière. Incroyable! James lui sourit à travers son épais foulard de tricot, ses cheveux roux ébouriffés par la brise sur son front.

- So, not disappointed I hope.
- It’s just as I imagined it would be. Perfect.


Ils poursuivent leur route. Direction le pub du coin, l’âtre flambant, les poutres de bois massif, les fauteuils moelleux, les veilles gens absorbés par leurs journaux, les plus jeunes riant, échangeant les derniers ragots devant des pintes tièdes. Remède absolu contre le froid de l’hiver. Le réconfort des Fêtes passe toujours par le pub. À l’année longue, on y est toujours en bonne compagnie, des chiens sagement couchés sous les tables. Bouillottes vivantes.

  
© Eve Mangin, 2011 

mercredi 10 juillet 2013

Janvier 2010.

Janvier 2010 [extrait]


Leamington Spa, Warwickshire, England, UK.

 Une ancienne station thermale où les riches victoriens allaient en cure profiter des eaux bénéfiques de la région. Un hameau de magnificence découvert en ce petit matin du 7 janvier 2010. Le soleil est radieux. Il baigne de lumière douce, presque timide, les maisons, les murets de pierre et les branches nues des arbres. Les chemins sont encore glacés. Emma respire profondément. Ce matin, elle s’est cachée aux toilettes y vomir son petit déjeuner, après avoir manqué s’assommer sur le coin du lavabo en perdant connaissance. Il faut vraiment que j’apprenne à me calmer. Le voyage, la solitude, le mouvement, l’Angleterre tant attendue, la panique de répondre à ses attentes. Beaucoup trop pour son fragile estomac. Mais le temps n’est pas à faire la petite nature, la vie anglaise s’ouvre à elle. Le dédale de ses rues n’attend plus qu’à être exploré. Sur le trottoir, Emma bifurque à sa droite. De chaque côté de la rue gelée reflétant tout comme un miroir poli, sont rangées les voitures des employés trop prudents qui sont restés à l’abri de leur foyer. Tous les volants sont à droite. Charmante curiosité. En avançant, Emma voit se dérouler les minuscules jardins des maisonnettes poudreuses qui ressemblent à des sculptures de glace, projetant un halo de lumière autour d’eux. L’architecture est incroyable. Les angles naissent de partout sur les côtés des bâtisses, coupant la platitude de la ligne droite classique, apportant un aspect étrange, loufoque et sympathique au voisinage. Tout est rouge brique. Emma évolue dans une forêt de maisons de poupée fardées de blanc. Les cheminées fument. Encore une autre rue, d’autres maisonnées enfantines. Au détour de la suivante, Emma se retrouve au bord de l’eau, une petite rivière timide aux rives prises dans la terre gelée qui serpente à travers la ville. Elle choisit d’emprunter le sentier qui la longe, lui-même bordé de hauts arbres. Elle défile sur une passerelle, le soleil jouant de ses effets dans les branches, les transformant en boules à facettes. Les passants aussi semblent sortir d’un conte. Déambulant avec simplicité, des paquets plein les bras, leurs joues rougies par la brise fraîche, ils ont gardé cette bonhomie de l’enfance, et saluent cordialement chacun de leurs concitoyens d’un « Hello! » vif lancé à travers leurs foulards. Une ancienne église se découpe sur la rive opposée, majestueuse, imposant un respect solennel avec ses hautes tours aux carreaux percés, et ses larges portes à lourds battants de bois entrouverts. D’où elle se tient, Emma entend les bribes de la messe. Plus de cinq cent ans plus tard, le monument n’a rien perdu de sa fonction première. Emma n’a pas le temps de profiter des chants qui s’élèvent maintenant de l’édifice. Le vertige s’empare d’elle. Sa panique n’accepte pas le repos. Seul un feu roulant permet de distraire son esprit tourmenté. Emma reprend son expédition, non sans avoir ravalé une bile acide qui remonte dans sa gorge.

 

Cœur de la ville, Parade Street s’allonge devant elle avec ses vitres chargées de guirlandes, ses boutiques somptueuses et ses épiciers gourmets. Tartes, saucisses, thé, sardines, petits gâteaux, biscuits secs, confitures, pièces de gibier, herbes aromatiques, chocolatiers, chapeliers, modistes, Parade Street est un immense marché de Noël. La Parade est si active, tous les habitants semblent amassés sur une seule et unique artère. Ils vaquent à leurs occupations, s’arrangent de leurs courses avec une grâce nonchalante. Aucun visage n’a l’air soucieux, triste ou maussade. La cordialité règne. Les gens ne se pressent pas, ne se bousculent pas, semblent glisser sur la neige. Une foule de patineurs artistiques. Emma est subjuguée par ce spectacle rare pour une Montréalaise blasée et une Française de jeunesse. Un marchant de marrons chauds l’aborde. Nouvelle attaque de nausée. Elle décline l’offre. Un peu plus loin, un parc s’ouvre à elle. Là sont tous les enfants, avec leur visage radieux, leurs yeux brillant de plaisir, sûrement les mêmes que ceux de la veille qui profitent d’une nouvelle journée de vacances forcées, et par la même occasion d’une seconde bataille de boules de neige qui n’a rien perdu de son inusité. Un carrousel perdu témoigne des concerts de jazz qui s’y tiennent tout l’été, à travers les fleurs, les couvertures à carreaux et les paniers en osier chargés de victuailles. Emma traverse un pont au bout de Parade. À droite se tient le Musée de la ville. Il retrace l’histoire de Leamington depuis sa fondation, en insistant méticuleusement sur son époque glorieuse de première station thermale au pays, se plaçant alors devant Bath Spa, capitale romaine des cures… mais nous y reviendrons. À gauche, de grandes grilles de fer forgé indiquent les jardins de la ville. Emma s’y dirige. D’immenses bassins bordés de sculptures s’étalent en mares scintillantes. Leurs hautes fontaines crachent des gerbes d’eau glacée qui retombent en cascades parmi des cygnes d’un blanc pur, maladroits sur les plaques de glace disparates. En arrière-plan s’élève une cathédrale grise, au clocher orné d’une horloge colossale. Des bancs de bois massif parsèment les sentiers. Chacun d’entre eux est marqué d’une plaque commémorative, témoin survivant d’un couple marié qui y passait ses temps de liberté. Emma s’assied. Son esprit est tranquille. Premier apaisement réel depuis son arrivée. Elle regarde passer des femmes emmitouflées, poussant un landau tout en échangeant recettes et potins; de vieux couples à tête blanche se tiennent par le bras, sillonnant des allées apprises par cœur. Harmonie. Jusqu’à ce jour, un seul endroit au monde lui avait conféré ce sentiment de sérénité totale, ce sentiment d’être à sa place, d’avoir trouvé son équilibre : un sommet ensoleillé de Chartreuse.

© Scones. Cyrano. Montréal. Eve Mangin, 2011

mercredi 3 juillet 2013

Extrait du prologue SCONES.CYRANO.MONTRÉAL.


Scones, Cyrano, Montréal

De

Eve Mangin

  

© Eve Mangin, 2011  

 

A France et Miles,

Sans qui ce conte de fée serait resté dans l’oubli du « ce qui aurait pu arriver ». Une étincelle, si petite soit-elle, suivi à enflammer un brasier.
Merci infiniment.



PROLOGUE
[extrait]
 

Octobre 2011, 7h45, petit matin bien gris à Montréal. Un petit matin d’orage, avec tout ce qu’il a de plus charmant. La pluie qui martèle les vitres, le murmure du vent qui passe par le châssis des fenêtres mal isolées, les lampadaires encore jaune-orange qui se découpent à travers les arbres. Il y a quelque chose de magique dans ces automnes québécois. L’odeur du froid, bien différente de celle de février qui vous transperce les os, une fraîcheur douce encore, presque amicale, qui vient seulement enrouler un pull de laine sur nos épaules, pour y créer un petit cocon de bien-être. Le nez dans l’embrasure de la porte du balcon, un thé fumant à la main, je me dis que cette journée va être mémorable. Oui, je veux qu’elle le soit. C’est ce que je veux me dire tous les matins de ma vie, en tout cas, tant que j’en ai besoin, tant que je sentirai qu’il faut que je tienne le coup, que je tienne le coup jusqu’à ce qu’il arrive. Mais en attendant ce jour-là, ce 26 décembre où, au lieu de me ruer dans les magasins comme des milliers d’autres à travers le monde pour dénicher les aubaines du siècle, je vais être dans le hall des arrivées à Pierre-Elliot Trudeau. Le cœur battant, les yeux brillants, et mon être en joie devant ce cadeau de Noël extraordinaire, peut-être le plus merveilleux que je n’aurai jamais eu.

 
Mais avant décembre, il y a novembre, avec notre Tennessee Williams, «La Chatte sur un toit brûlant», octobre avec ses répétitions, ses soirées de financement pour un stage encore inconnu, et toutes ses fêtes costumées qui se préparent…Aujourd’hui, journée physique de la semaine : six heures de cours de combat scénique! Présentation et examen sur un extrait de Brecht au programme. Les bleus sur ma main droite témoignent d’eux-mêmes de nos répétitions intensives de cette semaine. On verra bien. On s’amuse, on joue. Alors comment tout cela peut-il être pénible? Ce soir : inauguration des nouvelles Écuries, théâtre dédié à la création, aux nouveaux auteurs, qui s’est payé des rénovations monstres, et célèbre sa renaissance par 24 heures de festivités sans interruption aucune. Festivités où, parmi d’autres étudiants des écoles, je vais participer en tant que modèle d’un Musée de Cire. Le tout-théâtre de Montréal y est convié…je vous laisse imaginer…En passant, les organisateurs ne sont absolument pas certains qu’ils auront assez d’électricité dans la bâtisse pour tenir jusqu’à demain matin...échafaudages, toiles de plastique et poussière à volonté seront les premiers invités. Vive le théâtre bohème! Mais au fond de moi, je pense toujours à tenir le coup. Rien qu’à tenir le coup.

© Eve Mangin, 2011  

jeudi 13 juin 2013

Écrire.

Écrire.

Un besoin. Une impulsion. Du gribouillage.
Des pages noircies, chiffonnées, aussitôt écrites, aussitôt reléguées à un fond de tiroir ou à une étagère poussiéreuse.
Oubliées? Jamais.

Il y a de cela quelques années déjà, je me suis promis de finir un de mes nombreux récits jamais achevés.
J'avais écrit pour moi-même poèmes et nouvelles. Mais trop souvent la tâche titanesque d'un roman avait été abandonnée.

Plus aujourd'hui.

Mon manuscrit de 200 pages est achevé. Intéressera-t-il quelqu'un? Viendra-t-il émouvoir autre que moi?

Le récit que je m'apprête à partager fait partie de mon histoire. Il est tiré de ma réalité.

Partagé entre deux continents, trois pays, trois ans. Il est mon petit enfant. Fragile.

Et le voilà qui vient au monde.